La porte vitrée du petit café s'ouvrit l'espace d'un instant, laissant passer un homme à la forte carrure, à la grande apparence. Dimitri s'avança dans le petit bistro, se choisissant une place sur la banquette côté fenêtre. Levant à peine sa main plus haut que sa tête, il claqua des doigts. Une seule fois. Le bruit étouffé par ses gants de cuir noir. Mais c'était suffisant. Un jeune serveur à l'air prétentieux s'approcha du Russe, un cabaret neuf et impeccable à la main, un sourire hypocrite au visage. Se penchant légèrement vers le client, d'un angle improbable, le serveur prit la parole, empreigné d'un fort accent Français et d'une voix faussement joyeuse:
"Bonjour Monsieur, bienvenue au Maugrind Café. Comment puis-je vous aider?"
Un sourire moqueur sur les lèvres, Dimitri tourna sa tête d'un regard froid sur le serveur, qui ne brocha pas d'un centimètre, prêt à monter les marches de l'Oratoire St-Joseph sur les mains si le client le lui eut-il demandé. Il lui répondit, du tac au tac.
"Mon cher Monsieur le Serveur, où pouvais-je donc m'attendre à être à part dans le Maugrind Café? Il me semble que d'être dans la Maugrind Tower et l'affiche difficile à manquer dans l'entrée. Tut tut tut, voyons, comment avez-vous pu passer à côté d'une pareille évidence? Mais puisque je suis un homme bon... je vais accepter de vous pardonner en faisant semblant de n'avoir rien entendu... Donc, je prendrais une tasse de cappuchino avec couronne de crème fouettée, le tout aromatisé à la vanille française."
Tout au long de la tirade, le serveur s'était vu fondre son sourire en une sorte d'expression acide dans un rictus improbable de sa bouche, sa tête hochant dangereusement sur le côté. Avant de tourner les talons et de repartir, le serveur lui répondit d'une voix presque chevrotante:
"Bien, Monsieur...
-Et, en passant, on ne dit pas "Comment puis-je vous aider", c'est un vilain anglicisme issu de "May I Help You"... Si vous aviez voulu formuler la phrase dans le même sens, vous auriez dû dire "Comme puis-je vous être utile"... Pauvre petit..."
[i]Hochant la tête dans un air faussement affligé, Dimitri laissa le serveur repartir pour le voir revenir quelque cinq minutes plus tard avec la tasse contenant trois gorgés du liquide chaud qu'avait commandé le Russe. Réglant l'addition avec le petit rabais que lui conférais sa Mafya, Dimitri laissa tomber, comme pourboire, et ce, d'un geste empreint de snobisme, le bras haut levé, sa main ganté d'un position brisée, un maigre petit vingt-cinq sous, dont le métal tinta délicatement sur le fond tapissé d'une mince couche de liège. Alors que le serveur s'en fut, le regard mauvais et de mauvais mots semblant vouloir s'échapper de sa bouche, M. Vladislav posa délicatement ses lèvres sur le rebord de la tasse en porcelaine. Jaugeant le liquide assez refroidit, il cala d'un trait le contenu de la tasse, laissant la crème fouettée intacte dans le fond, mis à part une petite commissure faite par ses lèvres, un jet de vapeur toujours montant du contenant. Juste avant de partir, le Russe se souvint d'un petit quelque chose. Il se pencha, pour voir par la fenêtre, et fit un petit au revoir de la main, un sourire niais sur les lèvres, vers l'endroit où, il en était sûr, était positionné un sniper Yakusa. Il répéta le geste quelques fois, changeants les mimiques et les lieux. Une petit révérence discrète pour les Français, un God Save the Queen pour les Anglais, un petit signe de pouce pour les Italiens, et finalement, un merci pour le sniper Russe.
Sortant du Café, alors qu'un petit attroupement de serveurs se précipitaient à sa table pour la vider au complet, la nettoyer et la remonter avant l'arrivée du prochain client qui, ils l'espéraient, serait moins apathique, Mitia s'en alla vers la section "banque" de la tour. Retirant aimablement la coquette somme de quatre mille dollars, signant la petite feuille et apposant son tampon, il ressortit rapidement du lieu avec une petite mallette noire, et il se mit en route.
[Prochain Post au Restaurant de la Place Rouge]